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Mon sejour en Algerie

Katsuhiko KANAI (IHI Paris)

A l'aube d'un debut de printemps, un apres-midi de Mars 1970, je suis arrive a l'aeroport d'Alger alors que le soleil brillait encore. Je faisais mon premier pas dans ce pays et c'etait mon premier voyage d'affaires en outre-mer. Ce jour- la, je n'imaginais pas que j'aurais d'autres relations avec l'Algerie dans un futur eloigne, j'etais pourtant pleinement ravi et meme excite, car les images qui me restaient de la lecture de L' Etranger de Camus lorsque j'etais etudiant et le souvenir de connaissances que m'avaient transmises des etudiants algeriens lors de mes etudes en France formaient dans mon coeur et d'une maniere diffuse le reve de concretiser a l'avenir un voyage dans un pays qui meritait d'etre visite. Ce devait etre l'Algerie et il vient de se realiser.

Le but de ce voyage etait de participer aux travaux de construction d'une usine de Gaz de Petrole Liquefie a Skikda, apres qu'IHI ait signe, six mois avant mon premier contact, c'est a dire en septembre 1969, avec la Sonatrach le contrat de mise en oeuvre ; notre societe m'a affecte au service des affaires generales telles que les relations avec les maitres d'oeuvre, les services de dedouanement, et la soumission des dossiers aupres des autorites concernees. Mais ces operations representaient des roles nominaux ; quant a moi, j'etais tout a fait debutant dans ces domaines et je rendais en toutes circonstances les petits services demandes par mes superieurs, j'etais, de ce fait, bon a tout faire ; mais, a vrai dire, je travaillais d'arrache-pied comme une recrue.

A cette epoque, le reseau telephonique etait mal desservi, il me fallait marcher cinquante minutes a pied dans la nuit pour querir un taxi. Pour le bien-etre de mes superieurs japonais, il m'incombait de chercher un restaurant et choisir le menu ; apres toutes ces activites extra professionnelles, ne m'attendait qu'un sommeil de plomb. Cela n'empechait pas mes superieurs de se mettre en colere quand mes erreurs etaient repetees, mais ils ont ainsi bien assure ma formation et m'ont enseigne les pratiques. En consequence, je peux dire qu'en Algerie, j'ai appris un metier.

Alger, ville a flanc de coteau, face a la Mediterranee et autrefois appelee Alger La Blanche ; il etait facile d'imaginer qu'elle souriait de ses belles rangees de rues blanches qui luisaient sur une mer d'un bleu fonce. Mais le batiment blanc etait, en ces annees 1970, sale et terne : une des sequelles de la guerre 'independance.

Cependant, la ville s'animait de ses nombreux promeneurs, les enseignes des boutiques etaient inscrites en francais et les etageres du grand magasin proposaient toutes sortes d'articles. Quelques boucheries, en particulier, vendaient du porc pour les ressortissants etrangers. Il y avait un casino dans l'hotel Aletti qui doit aujourd'hui son renom au film " Pepe le moco " avec Jean Gabin et un cabaret " Le Koutebia ", situe a droite en montant le boulevard Didouche Mourad, presentait un spectacle de danse folklorique qui pour la premiere fois m'avait captive. A cette epoque, je n'avais pas idee du prix d'une seance de cabaret et je laissais au caissier le plus gros de la somme qui m'etait allouee pour mes besoins immediats. Cela me laisse toujours un souvenir legerement amer.

Alger et Skikda etaient mes lieux de travail ; j'ai neanmoins passe la plupart de mon sejour a Skikda ou se trouvait le chantier de construction et ou s'effectuait la majorite de mes activites professionnelles. A Alger, ma tache consistait simplement a soumettre regulierement au Maitre d'oeuvre et aux autorites concernees, les documents pour approbation, ce qui reclamait, croyez-moi,beaucoup de patience.

A cette epoque, les Japonais se rencontraient tres rarement dans les rues algeroises, mais a Skikda, des que les travaux eurent demarre sur le site, le paysage environnant changeait de jour en jour ; ces travauxm'impressionnaient, surtout l'evolution technique de la construction. Skikda, qui etait alors une petite ville regionale, avait de nombreux projets a realiser dans sa nouvelle zone industrielle, tels que la construction du nouveau port, de la centrale thermique, de l'usine de Gaz Naturel Liquefie, etc €c pour cette occasion, s'etaient installes des francais, des allemands, des tcheques ; quant aux japonais, nous n'etions que huit personnes d'IHI alors pas tres bien identifies et que les skikdois appelaient " chinois " .

Je me souviens encore qu'a Skikda existait deja une societe mixte franco-algerienne Somalgaz dont le Directeur general etait Monsieur Khouani, qui deviendra par la suite Directeur general adjoint de la Sonatrach et le Directeur, Monsieur Kajitani qui sera promu Directeur general de l'ENAP. Pendant le deroulement de la construction, des frictions professionnelles se produisaient parfois avec un jeune chef de projet representant le client ; Monsieur Kajitani intervenait alors pour resoudre ce genre de problemes epineux, racontant volontiers que " le chameau ne peut voir sa bosse " ; je n'oublierai jamais ce proverbe algerien significatif pour la conduite de la vie. A la Somalgaz, la societe francaise Technip procedait aux derniers essais correspondant a la troisieme tranche de montage des equipements qui devaient permettre l'approvisionnement en gaz brut de l'usine voisine en construction par IHI et dont la vocation sera finalement de separer le butane et le propane pour ses exportations. La Somalgaz, nationalisee le 24 fevrier 1972 avec d'autres installations petrolieres, est devenue une part importante de la Sonatrach d'aujourd'hui.

Mon premier sejour en Algerie a dure trois ans et un mois jusqu'en avril 1973. C'est a cette epoque que s'est produit le " Nixon shock ", changement drastique du systeme monetaire, qui amenait, au change, le billet vert a la fluctuation. Pour mon second sejour, j'etais le representant du bureau de liaison d'Alger pendant trois ans et sept mois, c'est a dire d'aout 1978 a avril 1982. J'avais alors trouve que l'Algerie entre-temps avait enormement change.

Pendant ma premiere periode, la vie etait aisee, les biens materiels abondants ; les bureaux administratifs, les entreprises nationales disposaient encore des cooperants francais comme conseillers techniques qui nous aidaient dans la concretisation des reunions. Par contre, lors de ma seconde periode, la societe algerienne s'acharnait a son islamisation ; elle indiquait le nom de sa capitale et les inscriptions de ses panneaux routiers en langue arabe. Le changement le plus radical etait, en fait, la penurie de produits alimentaires pour subvenir aux necessites de la vie quotidienne. Cette situation de retour en arriere nous avait transforme l'image de l'Algerie. A posteriori, ceux qui la trouvait troublante n'avaient cependant qu'un point de vue de visiteur.

Apres quinze annees d'independance, l'Algerie etait encore en voie de developpement economique. Allait-elle etablir, a sa main et malgre ses difficultes, sa propre identite en cette deuxieme moitie des annees 1970 ?

IHI continuait d'enregistrer des commandes emanant d'entreprises algeriennes,cela lui permettait de tenir des employes a disposition au site de Arzew depuis les travaux de " jumbo " GPL en 1978 jusqu'a la fin de l'extension de cette usine en 1999, y compris ses travaux d'amenagement et de maintenance.

On peut donc dire qu'apres avoir pose un pied sur le sol algerien, il est difficile de l'en retirer. Cela nous amenait, chez IHI, a de pertinentes plaisanteries comparatives avec le cercle de yakuza japonais. Autrement dit, non seulement IHI mais egalement d'autres compagnies japonaises d'ingenierie et de commerce, possedant peu de personnels parlant le francais, envoyaient leurs employes a Alger aussi bien qu'a Paris, aux deux rives de la Mediterranee.

De ce fait, ils continuent, aujourd'hui encore, de se frequenter hors des clivages professionnels, a l'inverse des collegues sevissant au Japon. L'Algerie est ainsi devenue le catalyseur de notre lien etroit d'emigres. Nous pouvons preciser que l'experience de l'eloignement renforcait les liens d'amitie des uns et des autres.

Jusqu'au milieu des annees 1990, au moment des activites du mouvement radical terroriste, les travaux d'extension de l'unite de production du GPL avaient ete executes a Arzew, je faisais alors regulierement la navette entre Arzew et Paris. A long terme et independamment de leur volonte, les autres ressortissants d'IHI se resignaient a faire la navette entre le site et le camp sous les contraintes severes des dispositions de securite sans rien connaitre de la vie quotidienne des algeriens a l'exterieur du chantier. Pourtant, les ingenieurs du maitre d'oeuvre que j'ai rencontres a Skikda etaient tous des cadres superieurs de la Sonatrach et ils m'avaient embrasse lors de nos retrouvailles a Arzew apres ces vingt annees passees, comme l'auraient fait d'anciens amis lyceens ; j'etais sensible a l'amitie que ces anciens camarades me manifestaient en dehors des relations professionnelles. Au bout du compte, et en observant ces algeriens a travers les activites avec la Sonatrach, il me semble qu'ils ont neanmoins bien progresse dans les domaines de l'exploitation industrielle et des techniques specialisees ; les sous-traitants arrivaient au meme niveau que leurs homologues japonais.

Par le biais d'ameliorations futures de l'environnement professionnel et du niveau salarial, les fabricants algeriens auraient davantage de techniciens que ceux du Japon et deviendraient a leur tour des centres de fabrication et des fournisseurs pour les entreprises japonaises qui leur laisseraient le faconnage et l'assemblage integral.

D'ailleurs, je me suis permis de preciser que l'essor des industries algeriennes passerait par le renforcement de la competence des cadres superieurs et dirigeants en matiere de gestion, le niveau de competence des cadres moyens et assimiles semblant tres largement acceptable.

Trente ans se sont ecoules depuis mon premier pas en Algerie et il m'a semble mysterieux que les algeriens aient garde une apparence epanouie malgre la situation economique difficile. Je trouve, malgre tout, la mentalite algerienne actuelle optimiste et enthousiaste a regarder l'avenir.