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DESERT ET "BENTO" SAUMON

Terumasa Ono

Director Oil and Gas development Division
JGC CORPORATION

Me voici aujourd'hui a nouveau dans le premier vol d'Air Algerie (compagnie nationale algerienne de transport aerien) reliant Alger a Hassi Messaoud.
Au dela de l'Atlas, nous volons tout droit vers le sud et, alors que nous apercevons sous nos yeux la fumee noire s'elevant d'une usine, notre avion amorce sa descente.

Cela fait environ huit ans que les avions ont commence a etre utilises pour les deplacements en Algerie, depuis la deterioration de la situation securitaire, mais, autant que je m'en souvienne, l'execution de projets en Algerie n'a jamais ete rien d'autre qu'une lutte contre la distance.

Le premier projet a avoir ete entrepris dans la partie sud du pays, en 1976, le fut a Hassi R'Mel. Au pic des activites de ce projet, il y eut jusqu'a 2500 travailleurs japonais et 5000 travailleurs algeriens, et le village de Hassi R'Mel, ou il n'y avait jusqu'alors qu'une petite usine de traitement de gaz naturel, pri‚” vite les allures d'une petite ville.
Dans leur grande majorite, les 5000 algeriens travaillant sur le chantier faisaient quotidiennement le trajet, dans des bus de gros gabarit, depuis une ville proche... qui etait tout de meme a quelques 100 km de la. Les Japonais, quant a eux, se rendaient, depuis la base de vie par des moyens de locomotion divers (voitures, mini-bus ou autres vehicules utilises pour les travaux), sur le site, ou dans le meme temps arrivaient les cent bus transportant les Algeriens. On aurait dit une scene habituelle d'heure de pointe dans une gare japonaise.
Il y a une anecdote amusante, qui a l'epoque avait ete une histoire prise tres au serieux, sur le transport en bus des Algeriens.
A la fin de l'appel precedant la montee dans le bus, il avait ete constate qu'un nombre important de travailleurs algeriens disparaissaient soudainement et ne montaient pas dans le bus. On avait reflechi a un moyen de regler ce probleme, mais finalement, a defaut d'en trouver un raisonnable et efficace, c'est une solution plutot primitive qui avait ete adoptee; tous les matins, de bonne heure, le " controleur du bus ", un japonais, se rendait dans le village de chacun des travailleurs recrutes et les faisait monter un a un dans le bus en les poussant dans le dos.

Il n'y avait alors qu'un seul bus qui faisait la navette une fois par jour entre l'aeroport d'Alger et Hassi R'Mel, qui etait reserve au transport des Japonais joignant un nouveau poste ou partant en permission. Etant donne qu'il y avait sur le site quelques 2500 japonais, c'etait environ 20 a 30 personnes qui montaient chaque jour dans ce bus.
La portion en jumbo entre le Japon - Anchorage - Paris etait un agreable voyage entre les nuages. Puis, apres avoir goute pour un court instant a l'air de Paris, nous nous rendions a l'aeroport d'Orly ou nous prenions le vol Air Algerie a destination d'Alger. La, dans le lobby de l'aeroport, ce n'etait plus l'air de Paris, mais deja celui de l'Algerie qui regnait; des gens impatients elevant la voix parce que les employes les empechaient de faire passer en bagages a main des bagages trop gros, la bousculade a la porte d'embarquement au moment de l'annonce de celui-ci, des gens, beaucoup de gens (d'ailleurs, si l'on y pretait attention, les Japonais se retrouvaient toujours au bout de la queue).Et finalement, au milieu de la confusion la plus totale, nous debarquions a Alger. C'etait a partir de la que le douloureux voyage qui avait commence a l'aeroport d'Orly allait atteindre son sommet ; 600km de voyage en bus.

Avec pour toutes victuailles un sandwich de viande de mouton hachee et une petite canette de jus rouillee, un long voyage d'environ huit heures commencait, dans un bus non equipe d'air conditionne. Normalement, il paraitrait logique que, dans un bus non climatise, les fenetres soient ouvertes en ete et fermees en hiver. Or, la, c'etait completement l'inverse. En ete, sous pretexte que si on les ouvrait un vent chaud s'engouffrait dans le bus, les fenetres restaient fermees, et il fallait donc se tenir patiemment dans une boite en fer dont la temperature depassait les 60oC. Et en hiver, parce que sinon il y avait un risque que le chauffeur s'endorme, selon une raison typiquement algerienne, les fenetres etaient ouvertes, et nous nous recouvrions de feuilles de papier journal pour nous proteger tant bien que mal du froid, et grelottions pendant tout le voyage. Nous l'avons appris plus tard, mais a cette epoque la, un des postes de depenses les plus importants (ou, a vrai dire, de pertes), etait les couvertures, en tant que, justement, mesure contre le froid au cours de ces longs trajets en bus. Ces conditions ne sont bien sur plus les memes aujourd'hui.

Une autre bataille contre la distance s'est deroulee au moment du projet Tin Fouye. En effet, d'une part, le site de Tin Fouye est situe a 1400 km d'Alger, a 600 km de l'aeroport le plus proche (celui de Ouargla) et a 300 km du premier village. Et d'autre part, le seul moyen de communication, rendu possible grace a l'aeroport de Ouargla, consistait en 30 minutes de radio le matin et 30 minutes de radio l'apres-midi (rien du tout en cas de tempete de sable), ce qui faisait vraiment de Tin Fouye une sorte d'ile sur la terre completement isolee du reste du monde.

Combien de fois me suis-je laisse emporte par mes pensees, alors que, au milieu de cette zone desertique que l'on appelle Sahara, la " terre sterile " en Arabe, je conduisais en essayant de me filer un chemin entre des dunes de sable qui apparaissent soudainement, et que je luttais contre le sommeil. Autrefois, il y a tres longtemps, le Sahara se trouvait sous la mer et puis, plus tard, s'est transforme en une terre verdoyante, sur laquelle une multitude d'animaux et de vegetaux s'etait developpee. Quel contraste par rapport a la realite de la vie sur site d'aujourd'hui, tachee de sable, de poussiere et de sueur... N'importe quelle sorte de travail serait agreable si cette terre etait restee le paradis d'alors... Il est arrive souvent que, malgre moi, je me surprenne en train de me plaindre...

La route etant monotone, il etait de coutume entre nous de nous vanter sur le temps que nous mettrions a faire les 600km separant l'aeroport du site, ce qui comportait deux gros risques.
Le premier etait le risque d'une panne d'essence.
En effet, sur cette distance de 600km, il n'y avait qu'une seule station service alors, si au cours d'un trajet ou l'on roulait a une vitesse depassant les 150km/h, une panne d'essence survenait, soit on avait de la chance et une voiture de passage nous prenait a son bord, soit il fallait aller a pied jusqu'a station service pour demander de l'aide. C'est ainsi que nous avons pris conscience de l'influence de la vitesse et du vent sur la consommation d'essence.
Le second risque etait celui des trous sur la route.
En fonction de la remorque qui les avait creuses, leur profondeur allait parfois jusqu'a 20 cm, et si l'on roulait dans un de ces trous a une grande vitesse, il y avait un risque d'avoir un grave accident, tel qu'un eclatement de pneu ou des tonneaux. Au debut, il est arrive frequemment que nous repetions la meme erreur consistant a appuyer sur le frein au dernier moment, trop tard, juste devant les trous, dans lesquels il devenait alors inevitable de tomber. Mais apres quelque temps, nous avons compris l'astuce, consistant a discerner de loin les traces de frein d'autres vehicules devant les trous, nous avons fini par pouvoir les eviter. Les travailleurs du site, ayant pour objectif de reduire les dommages provoques lors du transport des materiels pour la construction de l'usine, avaient meme concu, et distribue aux chauffeurs des camions, une " carte des trous ". Pour l'anecdote, ces derniers avaient ete bien etonnes que des Japonais concoivent une " carte des trous " de routes que les locaux eux-memes ne connaissaient pas !

Mais l'impression la plus marquante qu'il me reste de ces 600km de route est le souvenir de cette fois ou notre voiture etait tombee en panne a cause d'un probleme de transmission, et que nous avions ete obliges de camper dans le desert. Nous avions mis la voiture sur le bas cote, dans le sable, et allumant de temps en temps le moteur pour avoir un peu d'air chaud, nous luttions contre la faim et le froid. Au petit matin le lendemain, nous trouvions les couvertures et le pain sec qu'une division de l'Armee qui passait par la avait laisses pour nous.

J'avais entendu dire qu'il existait une sorte de " Loi du desert ", qui consistait a porter obligatoirement assistance a une personne en ayant besoin dans le desert. C'etait donc cela, survivre dans le desert. Pour quelqu'un comme moi, desormais habitue a l'insensibilite des grandes villes, la gentillesse naturelle de ces gens etait touchante, et me rechauffait le c?ur.

Il y a des gens qui disent que le desert et la culture japonaise s'accordent etrangement bien.

Dans le desert, a la tombee de la nuit, dans un monde sans autre bruit, alors que nous ecoutons des enka2 (certains contestent le fait que celles-ci fassent partie de la culture japonaise mais...) s'ecoulant du poste radio-cassettes d'une voiture, une tristesse presque douloureuse s'empare de moi. D'ailleurs, depuis cela, moi qui suis absolument prisonnier de ces chansons, je ne manque jamais d'en apporter avec moi une cassette, chaque fois que je dois me deplacer en voiture.

A l'origine, au moment ou le projet d'Hassi R'Mel a commence en 1976, a part quelques climatiseurs de marque japonaise que l'on apercevait de temps a autre, il n'y avait en Algerie, et en particulier dans la partie sud du pays, pratiquement aucun produit japonais. Mais par la suite, une fois que les Japonais ont commence a y vivre, non seulement des voitures ou des appareils electriques, mais aussi des produits alimentaires japonais ont, en grand nombre, fait leur apparition sur le site. Si bien que l'on pouvait voir des gens se deplacer portant des sacs de golf, des cannes a peche (malgre le fait que nous etions en plein desert) ou encore, parce que les produits du site etaient de mauvaise qualite, des japonais qui remplissaient leurs valises de papier toilettes. En un clin d'?il, la reputation de bonne qualite des produits japonais s'etait repandue parmi les locaux, et ces produits etaient devenus des objets de convoitise.

A 100km environ de Hassi R'Mel, se trouve Ghardaia, une oasis tres celebre, classee au patrimoine de l'humanite, qui, les jours de repos, devenait un point central ou s'installait le "marche sous le ciel bleu" (le "marche des voleurs" comme nous l'avions surnomme), ou l'on pouvait trouver toute sorte de biens quotidiens, et la etaient vendus des produits japonais ; casques de protection portant le logo de notre compagnie, vetements de travail, chaussures de securite fournies aux employes residant sur le site, et autres instruments... Il y a l'histoire de ce japonais dont le radio-cassettes avait disparu (avait ete vole ?) et qui, quelques jours apres, s'etait rendu en observateur sur ce marche, ou il avait eu la surprise de le retrouver... a vendre ! Je n'ose pas mentionner par quel moyen ces produits s'y retrouvaient, mais en tout cas leur variete etait etonnante.

(La ville de Gardaia)

Ce continent sterile m'a offert une multitude d'experiences et de souvenirs que je n'aurais jamais eus en restant au Japon. Malgre les experiences parfois douloureuses et les souvenirs amers qui furent nombreux, un de mes meilleurs souvenirs est celui d'un bento au saumon deguste dans le desert.
Il est extremement rare de pouvoir manger des poissons ou fruits de mer sur un site de construction au milieu du desert, mais alors, un japonais en visite avait rapporte du Japon avec lui, en cadeau, du saumon. Ce geste avait suffit a faire de lui un homme de grande vertu.
Quand nous partions en deplacement, nous preparions des bentos avec ce precieux poisson et, en chemin, nous nous asseyions sur une falaise dans le desert immense pour dejeuner ; encore aujourd'hui je me souviens du gout de ce saumon, si fortement sale. Ah! Ca c'est le Japon, la culture japonaise...
Dans tous les cas, sans parler des bento au saumon, un des plus grands plaisirs du desert etait les repas.
A Hassi R'Mel, ou se trouvait approximativement 2500 japonais, il y avait, certes du riz et de la soupe miso3, mais ce n'etait pas des ingredients dignes d'etre appeles "nourriture japonaise". Alors, un de nos plaisirs secrets entre collegues etait les " ramen "4 ou encore les " somen "4. Je me souviens en particulier de la sensation de rafraichissement procuree par le passage des somen dans la gorge, alors que la temperature depassait les 40oC.
Pour des raisons de securite, cuisiner dans nos chambres etait strictement interdit, aussi, au debut, avec un peu de retenue, nous faisions bouillir les soba4 ou les ramen sur des plaques electriques portables. Puis rapidement, nous avons rapporte du Japon des zaru5 et des bols pour la sauce et finalement, de plus en plus serieusement, plante des graines de aojiso6 et des poireaux a l'exterieur de nos chambres et audacieusement ouvert une boutique de soba.
Au fur et a mesure que les travaux de construction touchaient a leur fin et que le nombre de japonais diminuait, ce qui jusqu'alors etait une cuisine sans nationalite pouvait desormais etre appele " vraie cuisine japonaise ". Et puis, comme il y avait un peu de plus de temps, certains, pendant leur temps libre, avaient commence a rivaliser pour la culture de legumes japonais dont ils avaient apporte les graines du Japon. Pour peu qu'on les arrose, etant donne que c'est un endroit ou le soleil ne manque pas, n'importe quel legume poussait a une vitesse inimaginable au Japon. Et grace a cela, il nous etait possible de manger des legumes japonais frais.
Comme on peut l'imaginer, les occasions de manger du poisson et des fruits de mer etaient rares, mais cependant, a la fin d'evenements comme la fin des travaux, nous envoyions des vehicules refrigeres dans une ville pres de la Mediterranee, et achetions directement aux pecheurs des thons, dorades, homards, que nous mangions en sashimi, sushi ou tempura. Meme les Algeriens qui au debut prenaient un air suspicieux en regardant une telle cuisine, s'etaient progressivement habitues aux habitudes alimentaires japonaises, et rivalisaient pour manger cette nourriture au point que, si les Japonais n'y faisaient pas attention, ils ne parvenaient meme plus a mettre ne serait-ce que des restes de sashimi dans leur bouche !


Quand on travaille a l'etranger, il est evident que les echanges techniques sont tres importants, mais les echanges culturels ou d'ordre culinaire le sont tout autant pour faire comprendre aux gens notre facon de penser, et pour que nous comprenions la leur.
Les chantiers de notre compagnie en Algerie ont bien change depuis 10 ans. Avant, quand on parlait des etrangers, cela signifiait des Japonais pour la moitie, mais maintenant 80% des personnes vivant sur le site sont des Philippins. L'occasion de formation d'une communaute japonaise n'existe donc plus, mais en revanche, se presente celle de connaitre la culture des Philippins qui vivent en Algerie.

L'Algerie avant, c'etait un pays ou l'on pouvait de se deplacer et aller librement n'importe ou, et parler de facon insouciante avec n'importe qui, mais depuis environ dix ans, l'Algerie et les Algeriens, de meme que les etrangers, sont en prise a des problemes politiques et sociaux et nous devons continuer a executer nos projets dans un contexte de restrictions. Je prie tres fort pour que le jour ou l'Algerie sortira de sa confusion actuelle, le jour ou il sera a nouveau possible de se deplacer librement en toute securite, et le jour ou nous pourrons a nouveau avoir le plaisir de manger des bento au saumon en ecoutant des enka dans le desert, arrive tres bientot.



1 " bento " : sorte de petite boite repas japonaise, composee de riz et autres ingredients d'accompagnement.
2 " enka " : chansons populaires traditionnelles japonaises
3 " soupe miso " : soupe a base de pate de soja fermentee servie en accompagnement de nombre de plats japonais
4 " ramen "," somen ", " soba ": differentes sortes de nouilles japonaises, mangees soit en soupe, soit froides, avec une sauce speciale
5 "zaru": sorte de passoire en bambou sur lequel sont servies les nouilles japonaises froides
6" aojiso": perilla du Nankin, feuille utilisee dans la cuisine japonaise.

(traduit par Mademoiselle Sophie SIMON)