Haruko SUGAWARA
C'est en aout 2000 que les circonstances m'ont permis de visiter Tipaza.
Je savais que ces dernieres annees, l'instabilite aussi bien politique que sociale et l'insecurite, une vague de terreur sans merci visant meme les etrangers y regnaient et que les dispositifs securitaires les plus strictes de tout le continent africains y avaient ete instaures.
Cependant la situation s'etant nettement amelioree les derniers temps et quand mes amis residants a Alger m'ont assures qu'il n'y avais plus a craindre, j'ai vraiment eu l'envie de m'y rendre en visite, moi qui depuis longtemps a toujours ete eprise par la civilisation mediterraneenne.
Sur la carte, l'Algerie se positionne a la pointe du nord du continent africain, sur la rive mediterraneenne.
Elle n'est qu'a une enjambee de la France. C'est un pays qui cotoie la mer et qui rappelle le sud de la France, debordant de soleil et de fleurs.
Et Tipaza, classee patrimoine mondial de l'humanite, se trouve a deux heures de route d'Alger.
Je n'avais jamais entendu parler de Tipaza avant mon arrivee a Alger. Cela a eu un effet sur moi, tout ce que je voyais ou j'entendais constituait pour moi une suite d'emerveillements.
La distance a partir d'Alger n'est que de 70 km mais il faut passer par une route situee au bas d'une zone montagneuse ou jadis les terroristes avaient un fief. La situation semble tranquille dans ce lieu qui, meme a l'epoque de la guerre d'independance de l'Algerie etait connu pour etre un lieu de rencontre des combattants . La voiture roule a toute allure. J'ai un peu peur.
Avant d'arriver a Tipaza, en haut d'une colline, a gauche de la route, j'apercois d'en bas, un monticule bien erige sous une forme bombee s'elevant tel une tombe en forme conique. On me dit que c'est " le tombeau de la chretienne ".
Il parait que cette tombe appartienne a une famille royale et dont la lignee peut remonter jusqu'aux descendants d'Antoine et de Cleopatre. Certains d'ailleurs, attribuent ce tombe a la fille de Cleopatre.
Avant de visiter le site, nous nous sommes arretees au musee de Tipaza ou se trouvent exposes des objets remontant a une epoque lointaine.
Une jeune guide vetue d'une robe longue avec des motifs de fleurs, de couleur orange et dont les pans flottent au gre de la brise, nous fait visiter le musee et nous donne des explications. S'y trouvaient de somptueuses jarres, des cercueils sculptes, de petits pots ou les femmes de la noblesse versaient les larmes. Les minuscules sternum bien alignes tels les aretes de poissons et qu'on avait range dans les cercueils des enfants me font pitie.
Mais ce que j'ai trouve de plus beau, c'est la mozaique qui orne et recouvre le mur central.
Quel magnifique sens des couleurs ! Le motif d'une fine geometrie en bleu et gris ressort a merveille avec les rayons du soleil brillant de la mediterranee. Au centre , deux prisonniers a la corpulence forte se tiennent accroupis. L'un les bras attaches derriere son dos, l'autre avec un anneau a la cheville. Mais pourquoi des prisonniers ?
La jeune guide me dit que cette mozaique ornait la facade du tribunal.
Tipaza a ete fondee vers 600 ans avant JC par les pheniciens. Ce sont ces derniers qui, les premiers, avaient construits des ports et des comptoirs et s'adonnaient au commerce dans la mediterranee.
Mais leur apogee ne durera que jusqu'au 2eme siecle et en l'an 40, les romains envahirent la region et fonderent une ville. Il s'en suivit sur plusieurs siecles des luttes contre les ethnies locales. Il souffrirent des attaques repetes des berberes et des vandales et malgre une reconstruction de la ville par les byzantins, la majeure partie de cette derniere a ete detruite.
Au septieme siecle, quand les arabes sont arrives, ils n'ont trouves que des ruines d'ou le nom de Tifissade qui voulait dire " completement ruinee ou detruite " .
Les fouilles avaient commence en 1856. A present l'entretien est fait et assure, je presume, par l'Etat.
Nous sommes entre dans le site, immense, juste avant la fermeture de midi. Il n'y avait donc presque a l'interieur.
Un vieil homme parlant un francais chatie nous a servi de guide. Bien que detruites par les Berberes, les bases d'une ville concue par les romains et les pheniciens sont restees intactes et l'on peut facilement imaginer la prosperite du passe.
Les rayons du soleil tropical deverses sur une terre rousse sont entrecoupes par les feuillages des arbres constitues a majorite de pins. Dans les sites archeologiques au japon, on ne visite que des champs pleins de trous et les archeologues, tout en se fiant aux traces des poteaux, doivent imaginer l'emplacement des edifices et batiments. Mais ici, aussi bien la base que les fondations sont restes en l'etat, ce qui nous rend aise d'imaginer ce qu'il y avait eu au dessus. Temple, theatre, stade, caserne, boutiques, prison, etables, routes.
Tout cela construit de pierre et de bloques, s'etend vers les hauteurs d'une colline qui domine la mer mediterranee.
Ce qui est important c'est de voir les eglises et des cimetieres du christianisme a ces debut, dans cette terre d'Afrique. On peut penser que ce sont les romains qui ont ramene avec eux la foie chretienne.
Dans les ruines du temple, j'observe qu'il reste quelques arcs qui ont du constituer une arcade et quelques cercueils en pierre pres d'une monticule. S'il y a des catacombes bien simples tels des goutes, il existe aussi des cercueils en pierre avec de belles sculptures.
A un endroit parait le centre de la ville. Je remarque des lieux evoquant un tribunal, un forum, ou se seraient rassemblaient les citoyens. Les grandes allees etaient droites et larges pour permettre aux lourds engins de guerre d'y passer.
Les murs batis en pierre longent les rues protegeant les maisons. Passe ce chemin, je trouve un grand amphitheatre. L'arc des gradins est assez ample et bien arrondi, a l'arriere scene, on trouve meme des loges pour les artistes. La voix des acteurs est amplifiee par un mur dresse a cet effet.
Bien sur, l'on ne trouve pas tout ceci sous une forme parfaite. La grande partie est detruite. Mais toutes ces ruines se trouvent dans un vaste site, sans aucun panneau interdisant quoi que ce soit ou invitant les gens a y rendre visite. Cette generosite n'a rien de comparable avec toutes les restrictions qui existent dans les sites anciens au Japon.
Les egouts installes a l'epoque romaine se dressent jusqu'a la mer. Les eaux usees y sont versees. Les objets polluants tels ceux en plastiques n'existant pas a l'epoque, le role purificateur de la mer fonctionnait pleinement.
En marchant sur les rochers et le gravat des ruines on entend le froissement des feuilles d'arbres, chatouilles par le vent frais qui monte des rives. Sur notre chemin, on observe des restes de petites pierres et des morceaux de briques epars. Peut etre nous trouvons nous au milieu d'une multitude de vestiges de l'antiquite.
Un des visiteurs tend un bout de brique au guide. Par sa forme arrondie, il rappelle une partie d'un pot ou d'une jarre. Le vieux leprend dans sa main, s'assure qu s'en est un et le range tout de suite dans sa poche.
Ce fut une suite d'arcs, d'arcades et des restes de villas. Une visite d'une cite qui n'en finit pas, meme apres une heure de promenade.
L'histoire de la mediterranee, en comparaison avec celle du Japon est tellement complexe avec touts les brassages et les echanges entre des Etats et des peuples. Mais cette complexite suscite davantage d'interet.
En sortant des ruines, nous nous sommes arretes dans un village de loisir que nous avions apercu du haut de la route. Nombreuses voitures de luxes y etaient stationnees. Les parasols multicolores envahissent la plage. Sur les rives s'etendent une multitude de villas peintes blanches. Tout ceci evoque le bon vieux temps de l'Algerie. Mais qu'elle richesse et qu'elle paix !
La veille, nous avions visite la Casbah, le vieux quartier d'Alger montre dans le film " Le pays natal perdu " ou ( Pepe le moko ).
Les maisons delabrees, presque en ruine se superposent et s'etendent en hauteur. L'escalier par lequel detendait Pepe le Moko se trouvait la devant mes yeux. Les gamins rentrent et sortent, jouent et les vieillards contemplent assis sur les gradins comme a l'epoque, il y a plus de 50 ans.
Des maisons qui semblent s'effondrer dans peu de temps. De ces toits s'elancent les antennes de televisions comme des champignons blancs.
L'Algerie a obtenu son independance a la suite d'une guerre contre la France . Une guerre qui lui a coute beaucoup de sacrifices.
Aujourd'Hui, elle fait face au terrorisme, une periode qui fait couler encore le sang du meme peuple. Je n'ai pas d'idee sur ce que les extremistes islamistes veulent obtenir, mais je souhaite que le temps ou ce beau pays accueillait des touristes en nombre, en toute securite, revienne le plutot possible.